Interview par Benoit Gaboriaud publié sur le site l’essentiart en décembre 2024
Après avoir acquis, en 2021, un baiser entre un jeune homme et un chevreuil d’Edi Dubien, le Musée de la Chasse et de la Nature consacre à l’artiste une vaste exposition intitulée S’éclairer sans fin, qui rassemble près de 250 œuvres inédites.
Une belle occasion pour revenir avec lui sur sa fascination pour le monde animal et l’univers de l’enfance qui constituent toute son œuvre !
Dessins, sculptures et tableaux, l’exposition S’éclairer sans fin (en collaboration avec la Galerie Alain Gutharc), qui se déploie dans tous les espaces du musée, dévoilent un bestiaire réconfortant, et toute l’étendue du travail un brin onirique de l’artiste Edi Dubien.
A elle seule, la première salle rassemble plus de 200 aquarelles et une céramique monumentale inspirée des films La Nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton et Dead Man (1995) de Jim Jarmusch. Ici, tout est magie ! Un chagrin donne naissance à un animal.
Les enfants et les animaux semblent solidaires …
Edi Dubien : Je m’interroge sur la place de l’animal dans notre société
Quel rapport entretenez-vous avec le monde animal ?
Je suis parisien, mais étant enfant, je passais beaucoup de temps chez mes grands-parents en Auvergne, au pied du Puy-de-Dôme. Cet environnement est devenu mon lieu de refuge, sans lequel je ne sais pas ce que je serai devenu. Je m’y sentais libre. J’y ai découvert les bois, la nature, les animaux… avec qui j’ai entretenu au fil du temps un lien très fort. J’étais aussi très solitaire, mais je passais beaucoup de temps avec mon chien. Aujourd’hui, comme beaucoup de gens, je suis très sensible aux bouleversements écologiques. Nous allons droit dans le mur, c’est effrayant !
Je m’interroge sur la place de l’animal dans notre société et je fais des rapprochements entre la nôtre, la leur et celle des enfants. Je m’intéresse aux fragiles, à ceux que nous ne voyons plus ! Aujourd’hui, j’ai une ferme dans Loir-et-Cher. Je me balade, à la campagne, entre Vendôme et Blois. Je me pose, en attendant les animaux sauvages. Parfois, ils viennent, d’autres pas, c’est le jeu. Je m’occupe aussi des oiseaux. Je leur ai dédié un hectare de terrain. C’est peu, mais dans la région, à juste titre, tout est cultivé. Donc, c’est déjà ça ! Ces espaces de libertés, comme ceux que je retrouve moi là-bas en tant que parisien, me
semblent vitaux. Pour ma part, c’est indéniablement le cas.
Dans l’univers que vous mettez en lumière, nous voyons de jeunes hommes et des animaux qui se font face, mais il n’y a jamais de rivalité entre eux.
Les chevaux courent parce que nous leur avons appris. Un chevreuil fuit parce qu’il a peur de nous. Nous avons terrorisé le monde animal, et aujourd’hui, il est difficile de percevoir sa vraie nature. En ce sens, dans mes dessins, je fais le parallèle avec mes frayeurs d’enfant.
Vous dites que vos œuvres sont des autoportraits, pourtant ces jeunes hommes que nous voyons ici ne vous ressemblent pas physiquement et ne se ressemblent pas entre eux. Pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez alors par autoportrait ?
C’est exact ! Ce sont des autoportraits du point de vue de la sensibilité. Je me retrouve en eux, dans ce qu’ils dégagent. En tant que garçon trans, une partie de mon adolescence m’a échappé, comme pour d’autres, pour d’autres raisons. À travers mon œuvre, en travaillant sur des garçons plus jeunes, je rattrape le temps perdu, je reconstruis une part de moi même. Certains de ces jeunes hommes sont des modèles, d’autres proviennent de photos que je chine dans des brocantes. Parfois, je tombe sur des enfants de la guerre, après 1940, qui ont souffert, mais pas seulement. Je travaille aussi sur la maltraitance. J’aime leur redonner vie et les sortir de leur univers, en les habillant de fleurs ou d’animaux, pour les rendre beaux !
Certains d’entre eux sont maquillés, comme les animaux, pourquoi ?
Les gens sont attirés par ce qui les choque ou les amuse. Le maquillage me permet de distinguer les sujets et d’attirer sur eux les regards. En tant que garçon trans, je ne me maquillais pas. Enfant, je me sentais travesti en fille. Mes parents m’obligeaient à mettre des robes. Pour moi, j’étais un garçon, je n’aimais vraiment pas ça.Le maquillage signifie la différence, évoque aussi le monde queer, et surtout permet de mettre en lumière ce monde peuplé d’animaux et d’enfants. Je tiens à ce qu’on les regarde, à ce qu’on les voit. Ainsi, ils sont apprêtés ! Pour autant, je ne tiens pas à heurter les gens. Je souhaite juste m’adresser à eux, à attirer leur attention, dans une démarche populaire.
Nous connaissons votre pratique du dessin ou de la peinture, moins celle de la
céramique, quel est votre rapport à ce médium ?
de dessiner, mais maintenant, je m’y consacre en partie, enfin, mais toujours d’après mes dessins. Certaines de mes œuvres se déclinent et ainsi dialoguent.